SOCIETE- Les Oubliés de la Nation : Le combat continue…

L’association « Les Oubliés de la Nation » regroupe des familles endeuillées et a pour but la reconnaissance de tous les militaires "morts en service commandé" (1) sur le territoire national, mais aussi à l’étranger hors OPEX avec l’attribution de la mention « Mort pour le service de la Nation ».

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Jean-Pierre Woignier et son fils François, décédé le 2 août 2017.

Son président national, Jean-Pierre Woignier a engagé ce combat depuis le décès de son fils François, adjudant-Chef au 3ème Régiment d’Infanterie de Carcassonne survenu le 2 août 2017 lors d’un exercice de préparation opérationnel avant de partir en OPEX sur le Camp de Caylus dans le Tarn-et-Garonne.

Le Petit Niçois : Pouvez-vous nous préciser ce qu’est la mention « mort pour le service de la Nation ?

JPW : La mention « Mort pour le service de la Nation » est née en 2012 d’un projet de loi qui a répondu à un vide juridique, celui d’apporter une reconnaissance de la Nation à des serviteurs de l’État décédés de mort violente en service sur le territoire national ou à l’étranger hors OPEX. Son article premier précise que cette mention doit être accordée « à tout militaire tué en service mais aussi à tout agent public tué en raison de ses fonctions ou de sa qualité ». Cette loi s’est inspirée des droits et règles de la mention « Mort pour la France » pour les décès en OPEX avec « la reconnaissance d’un militaire tué à l’ennemi ou mort de blessure de guerre » ou « un militaire mort d’accident survenu en service, ou à l’occasion du service en temps de guerre ». L’attribution de la mention « Mort pour le service de la Nation » permet : la remise à titre posthume de la Légion d’honneur par le Président de la République ; une pension de réversion de 100 % pour le conjoint et d’autres droits suivant le Code des pensions militaires ; l’attribution du statut des Pupilles de la Nation aux Orphelins ; l’inscription de leur nom sur un monument de leur commune. Cette loi a répondu à l’évolution des dangers liés à la situation sécuritaire et terroriste sur le territoire national et aux risques des militaires liés aux missions de préparation à la guerre et les missions intérieures avec une rétroactivité à tous les décès survenus après le 1er janvier 2002. Cette rétroactivité a été demandée et défendue par Monsieur Gérald Darmanin qui était alors député. Cette loi a permis la reconnaissance des militaires tués à Toulouse et elle a aussi permis la reconnaissance entre 2012 et avril 2017 de plusieurs militaires tués accidentellement en service dans les conditions analogues à nos défunts par le ministère de Monsieur Jean-Yves Le Drian.

Le Petit Niçois : Pour quelles raisons, à la vue de ces informations, vos militaires ne sont-ils pas aujourd’hui reconnus ?

JPW : Parce ce que le 18 mars 2016, le gouvernement, conscient de l’exponentialité du premier article de la loi et de sa rétroactivité, a décidé de promulguer un décret restrictif qui s’oppose à l’article premier de la loi pour limiter les conditions d’attribution avec : « la reconnaissance d’un personnel tué par un tiers volontaire ou d’un personnel décédé du fait de l’accomplissement de ses fonctions dans des circonstances exceptionnelles » et la validation discrétionnaire d’un ministre. Depuis 2017, avec l’application de ce décret, nos militaires sont considérés comme « Mort en service » au même titre que ceux qui décèdent dans la vie courante du régiment, leurs enfants ne sont pas reconnus avec le statut de « Pupille de la Nation », leur conjoint bénéficie uniquement d’une pension de réversion à 50 % au lieu de 100 %, et leur nom ne sera jamais inscrit sur le monument de leur commune.

Le Petit Niçois : Cette nouvelle situation apporte-t-elle des incompréhensions ?

JPW : En effet, est-il normal qu’un militaire qui décède dans des conditions dramatiques en service commandé lors d’un crash d’hélicoptère ou d’un accident de tir sur le territoire National ne serait-il pas reconnu par la Nation comme il l’aurait été sous le gouvernement précédent et comme il le serait aujourd’hui en décédant dans un même exercice hors combat en OPEX ? De plus, est-il normal que les décès à l’entraînement des policiers soient reconnus par l’État avec la « Citation à l’ordre de la Nation » et leurs enfants avec le statut de « Pupille de la Nation » et pas nos militaires. Iniquité et injustice également, avec la reconnaissance du statut des Pupilles de la Nation pour les enfants de victimes civiles d’attentats terroristes tuées, blessées ou traumatisées, alors que ceux de nos militaires ne le sont pas.. Pour quelles raisons nos militaires ne pourraient-ils pas recevoir la Légion d’honneur, alors qu’aujourd’hui l’État honore le personnel de santé décédé du Covid19 ?  Et si demain, la Nation reconnaît les enfants de ces derniers avec le statut de « Pupilles de la Nation », qu’elle n’oublie pas nos orphelins. Pendant toutes ces années, d’autres incompréhensions, iniquités et injustices sont apparues, vous pouvez les consulter sur notre site. En effectuant des recherches sur le nombre de militaires décédés en service commandé sur le territoire national et à l’étranger hors OPEX et en revenant sur la rétroactivité de la loi au 1er janvier 2002, nous pouvons estimer ce nombre à plus de 100.

Le Petit Niçois : Quelles sont les actions que vous avez menées ?

JPW : Aujourd’hui, les associations les plus représentatives d’anciens combattants de France et mémorielles soutiennent notre combat. Nous avons été reçus par le général, François Lecointre, le chef d’état-major des Armées, en mars 2020. Il a estimé que notre combat était « juste » et d’ajouter : « Je vais voir avec le Ministère des Armées pour créer un groupe de réflexion sur le sujet ». Nous avons reçu le soutien de plus de 170 sénateurs et députés. Une proposition de loi a d’ailleurs été déposée par la députée, Madame Laurence Trastour-Isnart en décembre 2020.

Notre pétition en ligne sur change.org totalise plus de 146 000 signatures. Notre combat a été aussi amplifié par des articles dans la presse nationale et régionale.

Petit à petit, avec nos partenaires, nous avons participé à faire évoluer les esprits, pour qu’enfin une volonté de reconnaissance surgisse au plus haut niveau de l’État.

LPN : Quelle est cette nouvelle donne ?

JPW : Au mois de janvier 2021, nous avons reçu un courrier de l’Élysée nous précisant que le Président de la République avait décidé d’apporter une réponse constructive sur la reconnaissance de ces militaires avec l’attribution de la mention « Pupilles de la Nation » pour les orphelins. Nous ne pouvions qu’être satisfaits car nous sommes passés d’un refus systématique du ministère des Armées à une volonté de reconnaissance et nous en remercions le Président de la République. Nous avons pris contact auprès du ministère des Armées pour avoir plus de précisions. Lors d’un entretien téléphonique avec le cabinet de Madame Geneviève Darrieusseq, ce dernier nous a confirmé qu’un groupe de travail réfléchissait à une autre forme de reconnaissance qui regrouperait aussi le personnel de santé décédé du Covid19 et qu’il attendait le retour informatif d’autres ministères pour parfaire sa position tout en émettant une réserve sur certains droits actuels dont la rétroactivité des décès et l’inscription des noms sur le monument des communes.

LPN : Quelles seront vos prochaines actions ? 

JPW : Que nous soyons associés aux réflexions de ce comité avant qu’il ne puisse définitivement confirmer une orientation. Une demande de rendez-vous a été adressée au ministère il y a plus d’un mois, nous sommes toujours dans l’attente d’une réponse. Nous préciserons à ce groupe de travail que seule la mention « Mort pour le service de la Nation » est appropriée pour la reconnaissance des militaires et nous lui apporterons nos arguments pour une relecture de la loi, d’autant plus qu’elle risque d’être amputée de son décret. En effet, nous avons déposé une requête en annulation auprès du Conseil d’État pour la raison qu’un décret ne doit pas s’opposer à l’article d’une loi. Quant à la proposition de loi de Madame la Députée Laurence Trastour-Isnart, elle sera enfin examinée à l’Assemblée nationale. Le questeur, Éric Ciotti, nous a confirmé que ce serait bien le cas. Enfin, sur le plan médiatique, « Les Oubliés de la Nation » vont prochainement médiatiser une nouvelle fois leur action avec un dossier numérique qui sera envoyé à toutes les rédactions. Nous ne pensons pas que la centaine de reconnaissances mettra en péril le budget du ministère des Armées alors que le leitmotiv du gouvernement actuel est le « Quoi qu’il en coûte » par rapport à la crise du Covid19. Alors que le « Quoi qu’il en coûte » puisse servir au moins à apporter la paix et la fierté à ces familles endeuillées et à la cohésion du monde militaire. La mort d’un serviteur de la Nation dans des conditions extrêmes de service et de préparations opérationnelles difficiles ne demande‑t‑elle pas dès lors, la solidarité nationale, la reconnaissance et le soutien de l’État ? 

Nous lançons un appel à toutes les personnes sensibilisées par ce combat à nous rejoindre et de valider leur soutien sur notre site.

Propos recueillis par Pascal Gaymard

(1) L’appellation « Mort en service commandé » désigne les décès survenus sous l’uniforme lors d’une mission ordonnée par la hiérarchie militaire, quel que soit le but cette action (entraînement, exercice opérationnel, OPINT…). Cette appellation distingue ces décès avec ceux qui arrivent dans la vie courante des régiments (accidents de trajets, hors missions) avec la mention « Mort en service ».

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