AGRICULTURE – Jean-Philippe Frère : « L’eau agricole et le foncier : nos priorités ! »

Oléiculteur bien connu des Alpes-Maritimes, couvert de Prix au Salon de l’Agriculture de Paris, Jean-Philippe Frère, est à la pointe des manifestations du mouvement des agriculteurs.

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Depuis 25 ans, il milite au sein du syndicat agricole, la FDSEA, dont il est le président depuis 10 ans, mais aussi le vice-président de la Chambre d’agriculture dont les élections auront lieu du 10 au 25 janvier prochains. Après sa manifestation devant les portes de la préfecture au CADAM, L’Antibois est allé à sa rencontre pour comprendre le mal-être des paysans y compris dans les Alpes-Maritimes.

L’Antibois : Vous avez bloqué les deux accès de la préfecture, une Première, pourquoi ?

Jean-Philippe Frère : Il y a un an, il y a eu une grande réunion à la préfecture des Alpes-Maritimes et depuis rien n’a bougé ! Nous n’avions jamais bloqué par le passé le CADAM. Cette fois, la colère est tellement forte que nous avons décidé de déverser 20 tonnes de fumier devant les deux entrées de la préfecture. Les agriculteurs en ont marre du manque de considération et de respect vis-à-vis de nos revendications qui sont légitimes et qui ont le soutien de la population.

LA : Quelles sont vos revendications ?

JPF : Toujours les mêmes depuis des années. Tout d’abord, nous sommes solidaires de nos collègues sur le plan national qui luttent contre l’accord du Mercosur. Au final, ce sera le consommateur qui sera perdant tout comme nous, les paysans. Tous les produits qui seront déversés sur l’Europe arriveront sans traçabilité et produits avec des méthodes interdites en Europe depuis des dizaines d’années comme l’emploi de pesticides pour le maraîchage et des hormones pour la production de viande. Il n’y aura aucun contrôle, car impossible à mettre en place. Le consommateur mangera de la viande aux hormones, des OGM, des fruits et légumes qui seront autant de perturbateurs endocriniens et susceptibles de donner le cancer…

LA : Et sur le plan plus local ?

JPF : On ne demande pas la lune, seulement deux choses : un tarif unique de l’eau agricole sur tous les Alpes-Maritimes et des réserves foncières pour les nouveaux agriculteurs. Sur l’eau, il est parfaitement anormal que l’on paie sur le territoire de certaines communes, 3,50/m3, alors que la moyenne nationale est à 8 centimes ! Il n’existe pas de réseau d’eau agricole non potable aujourd’hui. Chaque commune fait ce qu’elle veut. Il y en a qui l’ont institué comme sur certaines communes de la Communauté d’Agglomération Sophia Antipolis (CASA) telles Le Rouret ou Opio. Et il ne faut pas dire que les agriculteurs « gaspillent l’eau » ! Nous représentons 1,6 % de la consommation totale du département soit 2,5 millions de m3 sur les 200 millions de m3 produits chaque année. Il faut savoir que sur ces 200 millions de m3, 30 millions de m3 sont perdus à cause des fuites d’eau… Une villa sur la CASA en trois semaines peut consommer autant qu’une ferme à l’année !

LA : Et votre 2ème revendication sur le foncier ?

JPF : Les communes et Agglomérations peuvent agir via le Plan Local d’Urbanisme (PLU). Elles peuvent prévoir des réserves foncières pour que de nouveaux agriculteurs s’installent. Tout le monde aujourd’hui veut de la qualité au travers des maisons ou comptoirs de terroir. Mais nous n’arrivons pas à nourrir tout le monde et à faire face à la demande. Notre autonomie alimentaire dans les Alpes-Maritimes (1,5 millions d’habitants) est tombée à une demi-journée contre 17 à 20 jours en moyenne en France ! La moyenne des surfaces de maraîchage dans le 06 est de 1 ha, dans la Beauce, cela représente la surface du potager du paysan ! Tout le monde nous veut mais aucun acte ne suit ! Le ras-le-bol est généralisé !

LA : Qu’envisagez-vous ?

JPF : Nous allons monter nos actions d’un cran ! La prochaine fois, nous déverserons du fumier devant les collectivités ou communes qui ne jouent pas le jeu de l’eau agricole. Les politiques parlent tous de l’Agriculture, mais ils ne font rien pour les Agriculteurs. Sans eau agricole, pas de paysans ni de productions. Nous observons un manque de considération terrible alors que la filière représente plus de 3000 emplois. C’est sûr que c’est beaucoup moins que le tourisme… On nous empêche de travailler !

LA : Pourquoi ?

JPF : Par des réglementations complètement absurdes ! Par exemple, la direction des impôts jusqu’à l’année dernière n’était pas reliée à la MSA… Sur le plan déclaratif, pour un permis de construire afin de créer une étable, une extension ou une transformation, même pour des toilettes, c’est le parcours du combattant ! Cela prend un temps considérable, beaucoup se découragent en chemin… Pour le maraîchage, nous avons besoin de tunnels pour nous protéger des intempéries. Le cadre réglementaire est ubuesque ! Et les surfaces agricoles se réduisent toujours un peu plus… En matière d’élevage, la paperasserie déclarative est roborative ! Bruno Gabelier qui produit des fromages de chèvre depuis des années aux Courmettes a vu son bail non renouvelé par le propriétaire du terrain. Résultat : un paysan de moins !

LA : Quelles sont les perspectives ?

JPF : Si rien ne change, nous perdrons dans 6 ans, la moitié des 1000 agriculteurs en fonction aujourd’hui. Nous serons plus que 5000. Ces 5 dernières années, 450 paysans ont arrêté. La moyenne d’âge du monde agricole 06 est de 58 ans… Pourtant, chaque année, nous remportons plus de 20 médailles au concours agricole du Salon de l’Agriculture de Paris. Notre diversité de produits est reconnue sur le plan national où nous sommes à la pointe du Bio.

LA : Et vous, votre succession d’oléiculteur est-elle assurée ?

JPF : Oui. Mon fils Guillaume a déjà repris des parcelles. Nous avons 500 oliviers répartis sur 5 ha. Mon autre fils, Julien, passe son doctorat. Lui aussi, voudrait rester dans le métier d’Oléiculteur qui est si beau. Nous verrons bien comment les choses évoluent, mais aujourd’hui, je suis plutôt pessimiste notamment sur le territoire de la CASA même si le président, Jean Leonetti, nous soutient. Il nous faut des actes en matière d’eau agricole et de foncier !

Propos recueillis par Pascal Gaymard

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