Le monastère a conservé à l’intérieur de son enceinte certaines installations liées à la vie quotidienne des moines blancs : porterie monumentale, vestiges de l’hôtellerie, cours et jardins clos de murets. Au centre de cette « cité », l’église, d’une grande pureté de lignes, et le cloître, d’une élégance rude et austère, constituent des chefs-d’œuvre d’architecture.
Un monastère ancien dans une architecture contemporaine
Édifiée entre 1160 et 1230, l’abbaye du Thoronet est, avec celles de Silvacane et Sénanque, l’une des trois abbayes cisterciennes de Provence. La disparition de l’abbaye menace lorsque, la découvrant, Prosper Mérimée la sauve en la signalant à Revoil, architecte des monuments historiques de l’époque qui va la restaurer dès 1873. Cette restauration est reprise ensuite par son successeur Formigé après 1907 et n’a pas cessé depuis.. La simplicité de l’enceinte s’inspire des grands principes communautaires érigés par les moines cisterciens : La règle bénédictine dans sa pureté originelle rend toute sa place à l’humilité, à la pauvreté et au travail, y compris le travail agricole. Les cisterciens se suffisent à eux-mêmes. Ils travaillent de leur main, exploitent la terre, cultivent la vigne et l’olivier.
La fidélité à la Règle de saint Benoît constitue le principe fondateur de toutes les congrégations. Reconnaissables à leur robe (« coule ») blanche, qui leur vaut le surnom de « moines blancs », les religieux y mènent une vie d’ascète, où le silence est de rigueur et la consommation de viande interdite. Sont ainsi réduites la décoration des églises et la liturgie à l’essentiel : la contemplation de Dieu… L’église est de style roman édifiée avec des pierres de calcaire de la région varoise. En forme de croix latine, ce monastère s’est enrichit d’une nef avec quatre travées couvertes de voûtes en berceau. L’abbaye constitue le plus beau spécimen de l’architecture romane provençale à son apogée, par l’harmonie de ses proportions, l’équilibre des masses, la perfection de l’ajustage des pierres assemblées avec soin. C’est une perfection mathématique. La forme trapézoïdale du cloître, l’image du pentagramme, une étoile à cinq branches, suscite bien des interrogations. S’agit-il d’une simple adaptation à la topographie du terrain, ou doit-on y voir une configuration chargée de symboles, une signification ésotérique ?
Un temps figé, sacré… dans un haut lieu de la Chrétienté
Au Moyen-Âge, la conception d’un endroit sacré relevait d’un processus créatif à valeur sacrée grâce à la perfection du nombre et de la géométrie, reflets de l’harmonie cosmique. Cet espace de sacrement conçu par les bâtisseurs de pierre, qui s’ajuste à la rigueur austère d’une civilisation plusieurs fois millénaires, dépasse les limites humaines, transcende le visible et l’entendable. A l’écoute du silence venu des profondeurs des entrailles de la Terre, résonnent encore les murmures d’un passé douloureux ponctué des longs gémissements de larmes, de guerres et de tortures, les Ancêtres nous parlent, l’Être tressaille et l’essentiel est dégagé de tout attachement matériel, il ne reste que l’un, indivisible avec le tout, l’univers. Dans l’enclos jouxtant l’ancienne grange dîmière, des fioles de verre de « L’arbre aux larmes » renvoient par leur forme aux lacrymatoires en usage dans les rituels funéraires romains. Elles miroitent aux branches du majestueux chêne-vert sous le regard du visiteur venu s’asseoir à l’abri de sa frondaison tandis que quelques clochettes de bronze résonnent au gré du vent. Ajoutons à l’atmosphère éthérée des chants intenses et mélodieux, des sons gutturaux produits à l’unissons, l’église renvoie une acoustique exceptionnelle, adaptée à la mise en valeur de la voix humaine et à la résonance du chant grégorien. Le son se transmet d’une extrémité à l’autre sans aucune déperdition ni déformation.
La richesse de symboles foisonne à l’intérieur du monastère, comme dans les œuvres des plus grands artistes, notamment dans l’abbatiale, au sol, dans l’axe du chœur, l’œuvre d’Anne et Patrick Poirier, « Memoria Mundi » en 2021, renvoie à la notion de mémoire du monde : Le tapis, en forme d’ellipse, est bordé de mots latins recensant les thématiques : memoria, natura, anima, archeologia, utopia… Puis, tout proche de la sacristie, posé à même le sol de l’Armarium où étaient conservés les livres, un bloc de pierre doré à la feuille, trouvé dans l’ancien ruisseau qui coulait au pied de l’abbaye, est surmonté d’une sphère en lazurite suggérant la pupille d’un œil géant. Cette sculpture aux formes contrastées et à la préciosité affirmée, fait allusion au mystère et à la richesse du monde. Enfin, disposé à l’extérieur, au centre du cloître, un grand cerveau schématisé constitué de cailloux en marbre blanc de Carrare, renvoie à ceux présentés dans l’église abbatiale. Visible aussi bien depuis la promenade supérieure qu’au niveau des galeries du cloître, ce schéma cérébral frappe par sa monumentalité et sa parfaite insertion dans l’espace bordé de buis, les contours du cerveau dessinant un lumineux parterre minéral.
Un endroit d’exception inoubliable qu’il convient de visiter, cet immense bâtisse moyenâgeuse accueille aussi des concerts d’exception ainsi qu’un atelier d’initiation au chant grégorien. Tout au long de l’année, diverses manifestations et activités se tiennent à l’abbaye du Thoronet : concerts a cappella, festivités autour de Noël, démonstrations, ateliers pour les enfants, marché de produits artisanaux, expositions artistiques…