Par Mathilde Vignal – Photos Dominique Maurel
Cannes, jour 10 : Valeur Sentimentale, un film qui marque profondément
Dixième Jour – Et puis au milieu de la quinzaine il y a eu ce film. Celui qui m’a touchée, remuée, bouleversée. Sentimental Value de Joachim Trier. Un moment suspendu, une œuvre d’une grande intensité qui m’a littéralement happée. Avec ce film, on quitte les paillettes, les éclats de rire et les foules pressées de la Croisette pour entrer dans un espace beaucoup plus intime. Quatre ans après avoir présenté Julie (en 12 chapitres), pour lequel Renate Reinsve a reçu le prix d’interprétation, Trier nous embarque dans l’histoire d’un père réalisateur, incarné avec une puissance douce par Stellan Skarsgård, qui propose à l’une de ses deux filles, Nora, incarnée par Renate Reinsve, de jouer dans son nouveau film. Mais face à sa défiance, il choisit d’attribuer le rôle à une jeune star hollywoodienne, Rachel Kemp incarnée par Elle Fanning. Leur relation n’en sera que plus impactée…
Le film aborde avec une sensibilité immense les thèmes de l’héritage, de la mémoire, de la transmission ou de l’absence de transmission. C’est aussi un film sur les silences, ceux qui pèsent entre les membres d’une même famille, ceux qu’on garde pour ne pas blesser, ou parce qu’on ne sait plus comment parler.



La prestation de Stellan Skarsgård est tout simplement magistrale : il incarne Gustav, ce père vieillissant, tiraillé entre son besoin de créer et son envie de se reconnecter à ses filles. À ses côtés, Renate Reinsve, dans le rôle de Nora, livre un jeu d’une justesse bouleversante. Elle habite chaque silence, chaque regard. Une performance d’une immense sensibilité.
Et puis, il y a eu la fin de la projection… 19 minutes d’applaudissements. Oui, vous avez bien lu. 19 minutes ! Un moment intense, presque irréel, qui reste pour l’instant le record de cette 78e édition et permet au film d’entrer dans le top des standing ovations les plus applaudies derrières Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro avec 22 min en 2006 et Farenheit 9/11 de Michael Moore avec 20 min en 2004. Le premier est rentré bredouille primant cette année-là Le Vent se lève de Ken Loach, le second s’est vu remettre la palme d’or.
Et sincèrement ? Si je devais miser sur une Palme d’or cette année, ce serait peut-être bien celle-là.
J’étais à la conférence de presse du film, et l’émotion était palpable. Joachim Trier, visiblement très ému, a partagé à quel point ce projet lui tenait à cœur. Il a évoqué avec pudeur l’aspect personnel de cette histoire, et la collaboration fidèle avec son scénariste Eskil Vogt, avec qui il explore encore une fois les méandres de l’intime.
Un film comme une caresse qui gratte, comme un miroir un peu trop sincère. Valeur Sentimentale ne se regarde pas seulement, il se ressent. Longtemps.
