ONLALU pour vous – Le vœu d’une morte : une mission divine

Ce roman écrit en 1866 par le célèbre écrivain Émile Zola fait partie de ses premières œuvres littéraires. Cinq titres précèdent le cycle des Rougon-Macquart : La confession de Claude (1865), Les mystères de Marseille (1867), Thérèse Raquin (1867) et Madeleine Férat (1867). Roman inspiré de sa jeunesse, longtemps resté sans parution, il paraît d'abord dans L'Évènement du 11 au 26 septembre 1861, puis en volume chez Achille Faure. Pour l'édition de 1889 chez Charpentier, Zola réécrit une grande partie de son texte, et le fait précéder d'un avertissement : « Je me décide à le rendre au public, non pour son mérite, certes, mais pour la comparaison intéressante que les curieux de littérature pourront être tentés de faire un jour, entre ces premières pages et celles que j'ai écrites plus tard ».

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Commençons par l’un des personnages marquants, Blanche de Rionne, jeune aristocrate mal mariée, qui se charge de l’éducation de Daniel Raimbault, un enfant miraculeusement échappé d’un incendie, tenu étroitement dans les bras de sa mère qui sauta par la fenêtre de l’étage d’une maison en flamme. Sur son lit de mort, agonisante, Blanche de Rionne lui confie la garde morale de sa fille, Jeanne, âgée de six ans. Lorsqu’à 18 ans celle-ci sort du couvent, Daniel joue le « rôle muet de précepteur », la suit partout, vêtu de noir, l’aimant secrètement comme un père, puis comme un frère et enfin, un amant. Mais il ne peut empêcher qu’elle fasse un mauvais mariage, et qu’ensuite elle tombe amoureuse de son meilleur ami, Georges, auquel à son tour, sur le point de mourir, il la confie. Le public décrit ce roman dépeint comme populaire. Mais il n’en est rien. C’est une littérature qui joue sur le sens véritable de la Destinée.

Un enfant au destin miraculeux

La préface est déjà troublante et la vision, cauchemardesque : une femme avec « un visage terrible, les cheveux dénoués, elle regardait devant elle comme frappée de folie », les flammes montèrent le long de sa jupe et serrant étroitement l’enfant qu’elle portait contre son sein, elle se précipita vers la fenêtre et sauta d’un bond. Crâne brisé contre terre, l’enfant vivait encore et tendait ses bras vers l’inconnu… C’est le sens du destin qui désigne « la puissance supérieure à la volonté humaine qui régirait le cours des événements » (Dictionnaire de l’Académie française). L’enfant est déjà un miracle et s’il survit, c’est qu’il doit accomplir une mission particulière. Il « n’a plus un seul parent au monde [et] vient d’être adopté par une toute jeune fille […] qui appartient à la noblesse du pays ». Daniel est ainsi recueilli par une mère qui tiendra son identité secrète jusqu’à l’aube de ses dix-huit ans. Sorti de la pension, c’est l’image de la mère idéale, puissance supérieure auréolée sans visage, bonne, aimable et bienfaitrice, qu’il entretiendra jusqu’à la fin, une adoration telle qu’il adoptera toute sa vie durant l’attitude rectiligne de la loyauté qui eut pris sa source dans l’engagement donné à cette mère adoptive, agenouillé devant son lit de mort. Daniel était un être chétif avec un physique disgracieux et qui s’apprêtait sans aucun doute à vivre une vie passionnée mais dans la souffrance d’une beauté intérieure qui ne s’affiche guère. Daniel, du haut de ses dix-huit ans mais avec son cœur tendre d’enfant, promit alors à cette mère tendre et aimante, qu’il veillerait moralement sur sa fille, Jeanne, alors âgée de six ans.

Un engagement fatalement orienté

Daniel, l’enfant miraculé, vécut alors pour satisfaire cet engagement, par dévouement extrême pour sa bienfaitrice. À travers les confidences, Blanche n’avait qu’une crainte, que les mondanités du 19e siècle ne s’emparent de l’âme de sa fille, qui sera élevée par sa futile belle-sœur. Elle-même victime d’un mariage malheureux avec son mari volage, sa tendresse, sa bonté et sa profondeur avaient écarté Blanche de Rionne d’un destin rendu tragique par l’amertume et la solitude. En effet, ses passions bien réelles ne représentaient nullement le monde protégé de la bourgeoisie, celui de l’éphémère et des apparences. C’est ce lien invisible qui entourait Daniel, tendre souffreteux, et sa bienfaitrice, la rencontre décisive qui parachevait la mission de sauvetage d’une petite fille pourvue à une vie sans bonheur, laissée entre les mains de ses seuls parents, cet époux libertin et sa cupide sœur. L’auteur décrit ici l’arrière plan d’une vision sociale féroce qui sera développée plus tard dans La Curée.

Une vie préalable à sa mission

L’époux est représenté de manière pathétique, faible d’esprit et sans romanesque, la crainte de Blanche de Rionne reste palpable, elle est autant ancrée que sa condition solitaire est réelle. Qu’est-ce qui a poussé Blanche à recueillir un enfant orphelin sans en parler à quiconque, pas même à son mari ? Quel avenir souhaitait-elle apporter à ce jeune homme qui, sans sa bonne action, aurait fini seul et sans le sou dans un orphelinat ? C’est bien le sens de ce destin qui se joue, la divinité transcendante dans les conceptions finalistes issues soit d’une raison interne à la Nature soit d’une conséquence des lois de la physique, à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté (humaine?) bien orchestrée en amont par les vies antérieures, un Ciel pourvu d’âmes créatrices de l’œuvre… La vie de Daniel est épris des sciences en contradiction avec sa sensibilité, le monde exact des chiffres l’enivrait de joie profonde, dans la recherche du vrai, du beau et du tangible, un univers sans les Hommes qui riaient de lui. Sa nature secrète est tenue dans l’ombre de celle qu’il avait adoré, sa mère bienfaitrice, et qui existait encore en veillant sur lui, cette âme torturée par les différentes humiliations. Il connut aussi l’amitié de son colocataire, Georges. Douze années passèrent avant que la petite Jeanne ne sorte de son couvent. Sa mission démarra à ce moment précis.

Le précepteur invisible

Jeanne entrait dans le monde, avec l’engagement de Daniel en clef de voûte. Alors qu’il était promut à un brillant avenir de scientifique, il s’engagea à la surprise de son ami de cœur Georges qui n’était pas informé de ses desseins, au service d’un richissime industriel, mari de la tante de Jeanne, afin d’être au plus proche d’elle. Habillé de noir, tour à tour courtois, amical ou distant, il devint l’anonyme et le censeur de bonne conduite auprès de la jeune fille. Les détours suspects de son cœur étaient systématiquement repris par le jeune homme. Ses remontrances étaient un baume sécurisant pour la nature exubérante mais non moins bonne de sa protégée et la détournait de ses penchants éducatifs mondains dont elle avait l’habitude, une enfant partagée entre l’éducation niaise qui était donnée aux filles, éducation propre à la tante et la nature profonde de la jeune fille, issue de la mémoire de sa mère. La jeune Jeanne connut en son tuteur missionné, l’élévation morale que sa mère espérait finalement transmettre, un gardien invisible qui fait fi de sa nature querelleuse et insolente, et bien qu’il en souffrit en tant qu’homme, l’aima en souffrance de sa nature secrète, subit en silence la rébellion de sa protégée qui ne tarda pas à se marier, par frivolité et sans amour, dans la continuité de la lignée maternelle, sans que Daniel ait pu intervenir à temps et se faire vraiment connaître.

Le mariage, porte de l’émotion

Lorin, le mari de Jeanne, était ruiné. Sa nature faible, égale à l’esprit de ce père inexistant, Jeanne vit les mêmes tourments que sa mère endurait tout au long de ses dernières années. Daniel comprit qu’il était amoureux d’elle, lui, l’homme misérable et timide. Il parcouru le monde, ivre de douleur, soutenu par son ami de toujours, Georges, encore ignorant de son lourd secret. Daniel et Georges continuèrent leurs activités, Daniel devint célèbre et oublia quelque peu ses tendresses cachées. Mais la voix de sa bien-aimée protectrice continuait à le hanter, Jeanne avait fait le choix d’un mauvais mariage et la mission de Daniel n’était pas achevée, « …si elle épouse une mauvaise nature, vous aurez à lutter et à la défendre encore ; la solitude est lourde pour une femme… ». Il retrouva Jeanne, éperdue de douleurs, souffrant d’être enchaînée dans ses obligations d’épouse auprès d’un homme qu’elle méprisait, son cœur bordé d’émotions s’ouvrait enfin mais pour saigner; devant lui, à plaie ouverte. Elle voulait aimer mais ne trouvait personne, sa solitude étant sa seule amie, elle supportait avec courage et fierté le poids de sa combativité, sa mère parla en elle et son être intérieur avait grandi. L’amour de Daniel n’en devint que plus grand.

Consolation et amour, le chemin de la grandeur

Daniel écrivit à sa bien-aimée Jeanne, de longues lettres anonymes enflammées et passionnées, ses lettres étaient le songe éveillé d’une femme en détresse d’être à nouveau désirée. Enfiévrée, elle garda secrètement toutes les lettres de cet amant inconnu. Daniel aima si secrètement qu’il avait laissé place à la rêverie et la jeune femme espérait que ces mots d’éloquence fussent écrits par son ami Georges, dont elle s’était épris. Zola joue ici le jeu du manichéisme des personnages et du rebondissement de l’action. Le mari de Jeanne meurt subitement, laissant libre la femme que les deux amis aimaient. La dignité de la jeune veuve à la succession de son époux défunt força le respect de son tuteur qui comprit alors que sa mission était terminée. Dans un dernier élan, contre sa volonté de faire de Jeanne son épouse, après avoir rejeté les tortures de la révolte contre l’injustice du sort, lui, le protecteur anonyme condamné au silence de son adoration passionnée et sans faille, servant les tendresses d’un autre, fusse-t-il son meilleur ami ; c’est alors que l’essence même de sa destinée lui fut révélée.

La destinée révélée dans le vœu

Ainsi, il ne vivrait jamais aimé de Jeanne. Son amour était l’unique raison de son chemin de vie : il aimait Jeanne et il aimait Georges. Daniel s’apaisa, sa bienfaitrice Blanche de Rionne ne l’avait pas abandonné et son destin allait s’accomplir. C’était sa raison d’exister, il allait les réunir. Son corps n’existait plus, seule son âme parlait, mue par une force étrange qui le précipitait à ce dernier accomplissement. Il confia avec joie sa protégée aux mains de son fidèle ami, taisant avec soin les coins secrets de ses anciens élans, la passion de l’homme maintenant sublimé, son corps disparait et l’âme s’élève enfin. Pour rendre hommage à cet amour si passionné que seul Georges avait finalement compris, ils se rendirent tous deux au chevet de Daniel, leur ami mourant. Et c’est dans la lumière de son visage illuminé qu’il rendit son dernier soupir.

Commentaires

Nous trouvons du Lagardère dans le personnage de Daniel, qui veille tel un père sur une enfant qu’on lui a confiée, qu’une morte lui avait confiée, avant qu’il ne pense l’aimer comme un frère puis comme un amant. Nous croisons également une ébauche d’un Cyrano de Bergerac chez Daniel qui écrit des lettres d’amour, lui qui pense ne pas pouvoir être aimé à cause de sa gaucherie, de sa laideur et de sa timidité. Nous retrouvons aussi le célèbre personnage de Jean Valjean, heureux de voir celle qu’il aime, sa fille dont il s’éprend, aimer son ami pour finalement mourir après l’accomplissement de sa mission.

La destinée vient-elle d’une influence supérieure divine ? L’œuvre est une méditation poétique sur la mort et la manière dont les morts continuent d’exercer une influence sur les vivants, traversant les générations. Le poème explore les thèmes de la mémoire et de la spiritualité, tout en mettant en lumière la fascination de l’auteur pour les questions liées à la mort et à la condition humaine.

Véronique La Rosa

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