Les contes de la petite fille moche de Julien Daillère – Éditions Les Cahiers de l’Égaré
PourKoiEnReparler ?!
Car il ne faut jamais oublier que si la parole libère, sauve des vies, parfois elle peut tuer !
CiKL’Auteur ?!
Après un échange Erasmus en Allemagne et la fin de ses études à l’ESSEC, il revient à Paris et commence une formation théâtrale aux ateliers du soir du Théâtre National de Chaillot. Depuis, Julien Daillère explore toutes les facettes de l’expression : par le mot, le corps et l’image.
OnEnDiKoiDuTitre ?!
Yves Rosati : Ce titre est à l’image des cours de récréation : bruyantes et joyeuses. Après tout, ce sont les contes de la petite fille mais ils sont racontés de la manière la plus cruelle, car la petite fille est moche. Ce titre m’a ému. Car sous couvert des rires et des cris d’enfants, les adultes oublient combien nos jolis bambins peuvent être cruels, comme ils oublient combien ils l’avaient été eux aussi, peut-être un peu, beaucoup…
Julien Daillère : Parmi les sept personnages, c’est Océane, la petite fille moche, qui est à l’origine de ce texte. Au départ, j’ai souhaité imaginer les pensées d’une petite fille qui se trouve moche. J’ai donc écrit le monologue « Je suis une petite fille moche ». Puis je me suis lancé sur d’autres formes de complexes que peuvent ressentir les enfants et j’ai écrit les monologues d’autres personnages. La petite fille moche est restée le personnage central, celui qui ouvre le texte et qui revient au milieu avec son cours de danse. En fait, cette petite fille moche est beaucoup plus qu’une petite fille moche : c’est l’enfant qui ne se sent pas aimé. Lors des représentations, c’était assez largement le personnage préféré des enfants, garçons ou filles. Même s’il ne s’agit pas de contes à proprement parler, il est tout de même question de personnages qui se « racontent ». Avec le psychologue clinicien Rémy Cortési, qui m’a régulièrement conseillé au fil de l’écriture de ce texte, nous aimions bien le contraste qui apparaissait entre l’idée de « conte » et l’image d’une petite fille « moche ». Mettre le mot « conte » au pluriel, c’était aussi pour apporter l’idée d’une pluralité des personnages.
OnEnDiKoi-DeL’Histoire ?!
YR : C’est l’histoire d’un mot, un seul, au milieu de conversations d’enfant, qui résonne de plus en plus fort dans la tête : gros, noir… Ce qui est l’évidence de notre corps devient une différence encombrante par les mots des autres. Et ce nouveau surnom commence à nous accompagner tous les jours à l’école, puis sur le chemin de l’école jusque dans notre chambre. Ce surnom devient notre nouvelle identité : La grosse, Le noir… jusqu’au jour où une personne, croisée au hasard de la Vie nous dise : Je t’aime.
JD : Je voulais donner la parole à des enfants qui se débrouillent comme ils peuvent avec l’étiquette qu’on leur a collé sur la figure et qui constitue aussi, bon gré mal gré, leur porte d’entrée dans le monde, leur identité. Se réapproprier cette étiquette par la parole, en parler avec ses propres mots, est peut-être un des chemins possibles pour s’en séparer ou au moins pour la vivre autrement que dans un statut de victime. C’est une chose dont je me suis rendu compte plus tard. Patricia Koseleff, qui m’a mis en scène pour jouer ce spectacle en tournée, me disait souvent que ces personnages ne sont pas des victimes. J’avais en tout cas conscience de chercher une parole d’enfant authentique, non pas asservie au désir de l’adulte mais intimement libératrice pour l’enfant en tant qu’adulte en devenir. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire émerger des personnages une parole qui réinterroge et réinterprète le monde avec cette fantaisie naïve et parfois cruelle propre aux enfants, et qu’elle les amène à envisager une évolution positive de leur situation, de leur identité, même si l’espoir est parfois fragile.
OnEnDiKoi-DuPersonnagePrincipal ?!
JD : Après avoir écrit le monologue de la petite fille moche, j’ai eu envie d’écrire les pensées d’autres personnages d’enfants ayant des complexes. Je me souviens avoir fait une liste des différents complexes que j’avais pu imaginer. Et puis j’ai commencé à écrire… et j’ai gardé les personnages dont les monologues étaient les plus pertinents, les plus habités, c’est-à-dire ceux pour lesquels j’étais le plus inspiré. Ils sont donc sept : Océane, la petite fille moche ; Aïna, la petite fille noire adoptée ; Lucas, qui ne supporte pas qu’on le commande ; Géraldine, avec ses grosses lunettes ; Kelly, idiote mais belle ; Timothée, qui ressemble à une fille ; Kévin, qui a son papa au chômage. Le choix de ces personnages n’a pas été très difficile, cela s’est fait de manière assez naturelle.
YR : Mais, Cher Julien, manque le personnage qui fait le lien entre tous : « Noir » qui conclut chaque portrait. Comme si Océane, après avoir pris la parole, souhaitait replonger dans le noir, redevenir invisible. Comme si l’obscurité devenait sa meilleure alliée face aux regards moqueurs de ces camarades. Quand un enfant dit à sa maman : « T’as vu Maman comme elle est grosse la Dame » et que sa maman le rabroue gentiment :
« Chéri, ne dis pas ça, ç’est pas poli »
L’enfant insiste : « oui, mais la dame, Maman, elle est grosse »
Et que Maman l’excuse : « Pardonnez-le, il ne sait pas encore, il est trop jeune ».
Il ne sait pas quoi. Que sa Maman vient d’approuver les propos de son enfant. Que la grosse dame le sait mieux que quiconque « qu’elle est grosse ». Elle s’essouffle rapidement, a du cholestérol et des problèmes cardiaques. Et surtout, elle a peur. Des autres, de leur regard. Elle les connaît trop bien. Elle en a marre. Mais c’est bien le seul domaine où elle ne fait pas le poids. Alors, Océane redevient cette petite fille dans la cour d’école, et elle se tait.
EnKonKluZion
CToi-KiLaDi-CToiKi-LAID !!
Sincèrement,
Yves Rosati
talukoilepetitnicois@gmail.com