Jean-Luc Godard, c’était une référence, un marqueur du siècle et du cinéma avec une écriture toujours audacieuse volontiers provocatrice.
D’Anna Karina à Anne-Marie Miéville…
Et pourtant, il était génial autant qu’il pouvait agacer. Il a accumulé les chefs-d’œuvre tels « A Bout de Souffle », « Pierrot le Fou », « Alphaville », « Le Mépris », « Prénom Carmen »… et les films plus tendancieux voire volontiers propagandistes férocement maoïstes comme « La Chinoise ». Dans ces années fin 60’s, il se perd dans un groupe d’extrême Dziga Vertov où son talent sera étouffé au profit d’un ensemble hétéroclite qui n’avait pas grand-chose à dire. La rencontre dans les années 70 avec Anne-Marie Miéville l’éloignera de Jean-Pierre Gorin avec lequel il avait fondé ce groupe et dès lors, il fera tout avec le nouvel amour de sa vie qui a remplacé le souvenir d’Anna Karina dans son cœur. En 1983, il revient sur le devant de la scène avec un grand film, « Prénom Carmen » toujours avec Anne-Marie Miéville qui en signe le scénario. Le film décrochera le Lion d’Or à Venise ainsi qu’un Prix technique.
A Bout du Souffle, Pierrot le Fou, Alphaville, Le Mépris…
Mais Jean-Luc Godard, c’est avant tout Les Cahiers du cinéma et la Nouvelle Vague, cette bande de copains qui décident de faire leur cinéma en dehors des formats de l’époque. Fini les décors en studio, bonjour les tournages dans la rue, au plus près des gens, filmer des images nerveuses, des mots qui claquent, des réalisations audacieuses où tout est permis. Truffaut, Rohmer, Rivette, Chabrol, Astruc… en seront ses amis parfois ennemis… Chabrol sera le premier avec « Le Beau Serge » puis Truffaut avec « Les 400 Coups », et enfin Godard avec « A Bout de Souffle » et la révélation d’un couple que tout oppose, Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg… De l’anarchisme de droite, Godard va virer révolutionnaire maoïste avec l’arrivée de Mai 68. Il sera de l’un de ceux qui s’accrocheront au rideau de l’écran du Palais pour empêcher la poursuite du Festival. Pas son plus grand acte de gloire…
Que de Prix !
Pourtant, avant tout ça, il a signé « Pierrot le Fou », peut être son plus grand film avec Anna Karina et Jean-Paul Belmondo encore mais aussi la scène cultissime avec Devos. Anna Karina s’interroge : « Qu’est-ce que je peux faire, j’sais pas quoi faire » devenu un hymne de l’époque pour la jeunesse. Ou encore le mythique : « Allons-y Alonzo »… « Alphaville », film méconnu, est un chef d’œuvre absolu avec Eddie Constantine qui lui vaut un Ours d’Or à Berlin en 1965. Et puis, que dire du « Mépris » donnant à Michel Piccoli et Brigitte Bardot une scène d’anthologie : « Tu les trouves belles mes fesses ? » demande l’ingénue au macho… Une autre époque, une autre liberté, une autre écriture… Alain Delon le résume ainsi : « Godard, c’est un créateur, un vrai cinéaste »… « C’est quelqu’un qui a quelque chose à dire, qui a une écriture cinématographique particulière ».
Le retour en grâce au Festival de Cannes
Après l’expérimentation des années 70, Godard conclut cette période par un grande fresque politique des années 80 à venir avec « Sauve qui peut la vie » qui associe Jacques Dutronc, Isabelle Huppert et Nathalie Baye, actrice qu’il reprendra pour « Détective » avec Johnny Hallyday mais Laurent Terzieff, Claude Brasseur et Jean-Pierre Léaud. Puis, il se lancera dans un résumé du 7ème Art avec ses brillantes « Histoire(s) du cinéma », mêlant philosophie et esthétique. Il fait aussi l’acteur pour d’autres avant de revenir régulièrement au Festival de Cannes, lui qui avait tout fait pour le détruire. Ce sera « Socialisme » en 2010 dans la sélection Un Certain Regard, « Adieu le Langage » en 2014 qui décroche le Prix du jury ex-aequo et enfin, « Le livre d’image » en 2018, film expérimental sur le monde arabe qui remporte une Palme d’Or Spéciale. Il y fait l’apologie de daesh, qualifiant ces terroristes « de vrais révolutionnaires ». Alors, oui, au final, l’image que l’on gardera de Jean-Luc Godard sera forcément contrastée, entre admiration sans bornes pour ses films des années 60, détestation pour sa période politique entre fin 60 et mi 70, retour en grâce dans les années 80, respect pour ses Histoires de cinéma dans les années 90 et sénilité précoce pour son dernier film. Comme un cherchant qui se serait perdu en route…
Pascal Gaymard