HOMMAGE : Jean-Louis Trintignant nous a quittés…

Quand les monstres sacrés du 7ème Art se font plus rares, on les croit volontiers éternels, Jean-Louis Trintignant était de ceux-là, de ceux qui sont entrés dans notre inconscient collectif pour ne plus en sortir… à jamais.

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Quand je pense à Jean-Louis Trintignant, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est sa voix, une voix de velours, douce, calme, rauque, sensuelle… Celle d’un félin qui connaît son pouvoir de séduction mais qui est, en même temps, d’une timidité assurée, totale, maladive diront certains.

Naissance au cinéma avec ET DIEU CRÉA LA FEMME…

Il s’est éteint tranquillement, paisiblement à 91 ans, dans le Gard, auprès des siens et de son épouse,  Mariane Hoepfner, pas loin de Piolenc, là où il était né, le 11 décembre 1930. C’est ne faire injure à personne que de dire qu’il ne vivait presque plus depuis 2003, date à laquelle il a perdu sa fille, sa moitié, son double, Marie, battue à mort par un sauvage qui ne mérite pas d’être en liberté aujourd’hui (ni d’être nommé)… Marie qui lui avait donné la réplique sur la scène du Théâtre National de Nice… Ce soir-là, le public a ressenti cette osmose, cette complicité, ce bonheur de ces deux-là d’être ensemble, de jouer ensemble, de dire ensemble les plus beaux poèmes d’amour d’Apollinaire… L’érotisme a toujours collé à la peau de cet acteur qui s’est fait connaître en 1956 avec un film culte signé Vadim, ET DIEU CRÉA LA FEMME… La rumeur ne se trompera pas pour une fois en attribuant une liaison torride entre lui et sa partenaire, une certaine Brigitte Bardot… Comme dans le film, une histoire dans l’histoire. Sa maîtrise, il la doit au cours de Charles Dullin car Jean-Louis Trintignant veut avant tout faire du théâtre… Et Charles Dullin mourra quelques mois plus tard… Ce neveu du coureur automobile, Maurice Trintignant, aurait pu suivre les pas de son oncle. Toute sa vie, il restera passionné de vitesse et de sport automobile au point de s’aligner aux 24 Heures du Mans en 1980…

Meilleur Acteur à Cannes pour Z

Mais c’est le cinéma qui l’accapare…en France comme en Italie où il tournera en 1962, un autre chef-d’œuvre, LE FANFARON aux côtés de Vittorio Gassman. Entre temps, il avait tourné LES LIAISONS DANGEREUSES (1959) d’un Vadim pas rancunier… et il sera sublime dans COMPARTIMENT TUEURS (1964) de Costa-Gavras. En 1966, Claude Lelouch change sa vie. Il joue UN HOMME ET UNE FEMME avec Anouk Aimée… Il obtient la Palme d’Or en 1966 au Festival de Cannes avant de décrocher l’Oscar du Meilleur Film étranger en 1967. Il n’arrête plus de tourner… Il est muet en pistolero vengeur dans LE GRAND SILENCE de Sergio Corbucci… il se laisse diriger par son épouse, Nadine, dans MON AMOUR, MON AMOUR ou LE VOLEUR DE CRIMES… Et puis, il retrouve Costa-Gavras dans Z avec lequel il décroche un Prix d’interprétation à Cannes en 1969. Ce petit juge d’instruction grec avec ses lunettes noires, inflexible, lui est très antipathique et il le joue à merveille… Pareil pour le faux chrétien de MA NUIT CHEZ MAUD d’Éric Rohmer ou le caméléon du CONFORMISTE de Bernardo Bertolucci, qu’il joue dans un souci du minimalisme quasi obsessionnel… Il perd sa fille Pauline durant ce tournage… Avec sa femme, il décide de continuer à vivre pour… Marie.

Son plus grand drame, la mort de Marie, sa fille…

Casanier et devenu un incontournable du cinéma hexagonal, il va refuser bien des rôles comme LE DERNIER TANGO À PARIS, trop impudique pour ce fils de protestant, mais aussi THE SERVANT de Joseph Losey, APOCALYPSE NOW de Francis Ford Coppola, CASANOVA de Federico Fellini, RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE de Steven Spielberg… Il a en partie raison car en France, il jouera le tueur Émile Buisson dans FLIC STORY (1975) de Jacques Deray, le financier glaçant de LA BANQUIÈRE (1980) de Francis Girod qu’il retrouve dans LE BON PLAISIR en président de la République boiteux et froid à la Mitterrand, un chien fou dans REGARDE LES HOMMES TOMBER (1994) de Jacques Audiard, un double rôle d’un bourgeois de province accueillant les amis de son frère décédé, et le défunt lui-même, un artiste homosexuel dans CEUX QUI M’AIMENT PRENDRONT LE TRAIN (1998) de Patrice Chéreau… Et puis le drame… Le 1er août 2003, sa fille adorée, Marie, est frappée à mort et agonise toute une nuit alors que son assassin, son compagnon, appelle le fils de Marie à parler alors qu’elle meurt doucement à côté… Ce drame ignoble l’anéantira : « La disparition de Marie est la plus grande souffrance de ma vie ». Dès lors, il s’isole, refuse toutes les sollicitations durant près de 10 ans…

Michael Haneke et Claude Lelouch…

C’est Michael Haneke qui le tirera de sa retraite pour jouer dans AMOUR (2012) avec Emmanuelle Riva. Le succès est foudroyant : Palme d’Or au Festival de Cannes avec mention aux deux comédiens, et un César du Meilleur Acteur pour son interprète principal, ce vieux professeur qui accompagne sa femme, atteinte de la maladie d’Alzheimer… Était-ce la fin de l’acteur au cinéma comme il l’a annoncé si souvent, se disant déçu par cet Art qui pourtant lui a tout donné ? Michael Haneke encore une fois, le refait jouer dans HAPPY END où, à 86 ans, il campe le patriarche d’une famille de bourgeois de Calais aux côtés d’Isabelle Huppert et de Mathieu Kassovitz avec lesquels il montera les Marches à Cannes en 2017… Mathieu Kassovitz dira que c’est Jean-Louis Trintignant qui lui a appris « à ne pas jouer pour l’équipe technique ». Il bouclera la bouche de sa vie de cinéma avec LES PLUS BELLES ANNÉES D’UNE VIE soit les retrouvailles si émouvantes avec Anouk Aimée, 50 ans après UN HOMME ET UNE FEMME…

Ses absences, ses silences, son austérité…

Pour finir, laissons-nous parler de son « métier » dans un recueil, UN HOMME A SA FENÊTRE : « Je déteste les numéros d’épaté. La grande scène, le beau rôle, le morceau d’anthologie n’entrent pas dans ma conception de l’art dramatique. Pour moi, un rôle, c’est l’addition d’une quantité de petits détails qui ne se remarquent pas. Ce sont des silences, voire même des absences, dans la mesure où elles servent le metteur en scène ou mes partenaires. Être comédien, c’est aussi préserver une certaine innocence ». Tout Jean-Louis Trintignant est là, l’austérité pour accéder à l’authenticité… et le travail toujours. On pourrait le comparer à Marcello Mastroianni… Oui, il existe une filiation entre ces deux-là et leur approche du cinéma. Quelque chose qui se rapproche du mythe, de la légende… du mystère… éternel.

Pascal Gaymard

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