Présidé par Jean-Marc Sauvé, le comité finalise les travaux et présente le 5 janvier un plan d’action en 86 pages avec une soixantaine de mesures de grandes ampleurs qui se veulent « inédites ». Très riche dans l’état des lieux, les points cruciaux y sont abordés parmi lesquels la simplification du code de procédure pénale. Mais le bilan est lourd et les réformes conséquentes.
Justice « grippée » , une nécessaire rénovation de l’organisation
Pour le comité, « l’institution judiciaire paraît grippée. Pour beaucoup, elle serait en lambeaux ». Il dresse un rapport sombre, de la « banalisation de la loi » à la « crise du service public de la justice » et de « l’autorité judiciaire ». Attachés à l’unité du corps judiciaire, les EGJ souhaitent le maintien du juge d’instruction et ne plaident que pour un renforcement limité des pouvoirs du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). L’idée d’un regroupement autoritaire des cours d’appel suscite l’hostilité des élus. Le comité suggère plutôt de créer une carte de régions judiciaires, recoupant les régions administratives. Chaque région judiciaire disposerait d’un budget opérationnel de programme avec des secrétariats généraux de région judiciaire, responsables des aspects budgétaires, immobiliers et informatiques. Une véritable réflexion est posée sur les modes de scrutin des élections au CSM, sur la responsabilité engagée des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. De même, la représentation du procès civil avec césure, un procédé novateur qui consiste à faire trancher par le juge le fond du litige et laissant aux parties le soin de s’accorder sur les demandes restantes, cette procédure ayant fait ses preuves car la mise en état dans un procès sans césure exige de nombreux mois avec des renvois interminables.. Avec la césure, aux Pays-Bas, deux fois moins de contentieux sont soulevés et pour deux fois moins de temps !
Vers une profonde réforme de la justice civile…
Le comité insiste sur la dégradation de la justice civile alors que « 60% des décisions rendues par les tribunaux sont des décisions civiles ». Le comité veut renforcer la collégialité et les moyens alloués à la première instance. En contrepartie, l’appel serait limité et deviendrait à terme une simple voie de réformation. Cela nécessite de rompre le lien entre le grade et l’emploi dans la magistrature, pour accueillir plus de magistrats expérimentés en première instance. Certains contentieux (loyers impayés, délais de paiement, fixation des pensions alimentaires) seraient barémisés. Le rapport propose aussi de renforcer la prise en charge des frais d’avocat par la partie perdante, d’abaisser le coût pour les justiciables et de réviser puis de valoriser la profession des avocats. La réforme est surtout utile pour les justiciables qui ont souvent le sentiment d’être mal entendus ou jugés, l’objectif est une justice participative, «donc plus rapide et donc plus proche », avec le développement de nouveaux modes amiables de résolution. Le comité souscrit à l’expérimentation d’un « tribunal des affaires économiques », qui regrouperait notamment les professions libérales et les agriculteurs, suggérant de constituer une filière de juges civilistes économiques. Les conseils des prud’hommes seraient également transformés en tribunaux du travail, à la composition identique. Rattaché aux tribunaux judiciaires, le ministère de la Justice deviendrait l’unique pilote de leur administration. Le rapport propose d’accroître la participation des parties au financement, mettant fin au principe de gratuité. Enfin, pour la protection des majeurs vulnérables, le formalisme du mandat de protection future doit être simplifié. Le comité propose de consacrer une présomption de gestion d’affaires à visée protectrice.
… Et une refonte totale de la procédure pénale
Il faut simplifier sans affaiblir la justice pénale. Le code de procédure pénale datant de 1959 est devenu aujourd’hui « illisible et inadapté ». Le comité préconise une réécriture du code de procédure pénale en rappelant que « l’impératif de simplification ne saurait conduire à remettre en cause la garantie des droits ». Pour améliorer la réparation des victimes, le comité recommande de transférer au juge civil l’indemnisation des préjudices complexes. Il veut favoriser le statut de témoin assisté à celui de mis en examen, qui serait réservé au cas où des mesures coercitives sont envisagées. Ainsi sera modifié le régime des perquisitions, des contrôles judiciaires, et amélioré les procédures de comparution immédiate pour une plus grande rapidité. L’accent est mis sur la protection des victimes et des enfants victimes, sera donc créé un guichet unique d’aide et d’accompagnement aux victimes et de leurs familles et d’une Unité d’Accueil Pédiatrique Enfance en Danger (UAPED) et le port de caméras-piétons par le personnel de surveillance sera généralisé pour assurer la sécurité. Outre renforcer la place de la victime, l’objectif central reste identique entre les différentes branches : réduire les délais surtout en matière correctionnelle qui sont en moyenne de 12 mois pour les dossiers lourds et 6 mois pour les convocations chez l’Officier de Police Judiciaire (OPJ). Applaudissons enfin de nouvelles mesures, les stages encadrés par des militaires à la retraite pour les mineurs délinquants placés en centre éducatif fermé et un parcours de droit pour les collégiens dès la 6ème..
Amélioration de la justice, hausse du budget, revalorisation du travail
Améliorer la justice fait partie du débat des EGJ qui envisagent une hausse « massive » des moyens humains et financiers. Le budget annuel de la justice, en hausse depuis une trentaine d’années, atteignait les 7.6M€ en 2020 jusqu’à 9,6M€ en 2023, sans pour autant être plus efficace. Pour autant, le rapport prévoit le renforcement des effectifs grâce à une augmentation du budget annuel allant jusqu’à 11M€ à la fin de ce quinquennat, avec des recrutements massifs de plus de 1500 magistrats, 1500 greffiers et 2000 contractuels et assistants de magistrats. L’École Nationale de la Magistrature aura un souffle nouveau et de beaux jours à venir avec 350 locaux supplémentaires trouvés à Bordeaux pour les 380 auditeurs de justice promus. Ces moyens serviront aussi à la construction de 15 000 places supplémentaires de prisons déjà bien engorgées (NDLR L’Antibois n°32) mais surtout, le renforcement des Travaux d’Intérêt Général (TIG) comme peine alternative à l’incarcération. Le comité, regrettant la faible rémunération des agents du ministère, suggère également des revalorisations, la numérisation intégrale de chaque document avec l’objectif d’une justice zéro papier en 2027, et la modernisation des palais de justice. Mais comme « tout ne se résume pas à une question budgétaire », le plan insiste sur « l’amélioration de la vie au travail…une autre priorité du plan d’action », des outils évalueront la charge de travail, à titre expérimental, des magistrats afin de négocier des accords-cadres sur la qualité de vie au travail. Les responsables RH devront être réactifs et une véritable équipe de travail sera constituée autour du magistrat afin de le sortir de l’isolement, d’alléger la charge administrative et de redonner sens au véritable métier de juge ; la culture du travail en équipe devra ainsi se faire dès l’entrée en formation des auditeurs de justice. Pour finir la lecture de ce rapport, jetons un coup d’œil rapide sur les entreprises. Celles-ci n’ont (toujours) pas fini de contribuer au remboursement de la dette publique, une participation financière active des entreprises est prévue afin d’abonder notamment le budget de l’aide juridictionnelle. De nombreux moyens mis en œuvre… sur des objectifs difficilement atteignables !
Véronique La Rosa
Sources : « Présentation du plan d’action issu des États Généraux de la Justice » du 5 janvier 2023.