par Pascal Gaymard – Photos Dominique Maurel
Lundi 20 Mai : LIMONOV, La Ballade fascinante
Ce lundi, nous aurions aimé vous décrire la Palme d’Or d’honneur remise aux Studios Ghibli mais cet événement a affiché complet dès son ouverture sur le site de la Billetterie en ligne du Festival… Un éternel sujet de controverses et d’agacements que ce soient chez les journalistes que des festivaliers de tout poil… Donc, à défaut nous avons vu SANTOSH, un film indien programmé dans la sélection officielle, « Un Certain Regard ». Cette femme policière qui hérite de la charge de son mari meurt prématurément met en lumière les difficultés et les tensions entre castes dans ce pays gigantesque et traditionnel. Cannes, c’est aussi ça, la possibilité de faire un tour du monde en images et de mieux comprendre l’état du monde…
Le film le plus attendu de la journée était sans conteste, celui du réalisateur russe, Kirill Serebrennikov, LIMONOV – THE BALLAD. On se souvient de L’ETE (LETO) en 2018 qui aurait dû être au palmarès et pourquoi pas sur la première marche de Cannes… Il revient avec quasi biopic sur un poète/écrivain/voyou/majordome/ouvrier/sans abri puis finalement homme politique d’extrême droite. Au centre de sa vie, Anna, sa muse qui a toujours cru qu’il serait un héros, que c’était sa destinée, qu’il allait accomplir de grandes choses. En Russie, il sera adulé, mis en prison, puis libéré et consacré, aux Etats-Unis, il se sentira bien seul au milieu des buildings surtout quand Anna le quittera, à Paris, il sera reconnu comme un écrivain qui compte avec à son actif, près d’une vingtaine d’ouvrages. Ben Wishaw mériterait bien un prix de la meilleure interprétation masculine. Le film sera au palmarès tant il est fascinant…
Dans le même genre du biopic, c’est Ali Abassi qui s’y colle avec THE APPRENTICE sur la genèse de Donald Trump et ses relations sulfureuses avec son avocat, Roy Cohn campé majestueusement par un Mark Strong habité. Il y aura « battle » avec Ben Wishaw… Limononv contre Cohn qui est le vrai héros du film devant Zar Amir Ebrahimi, un Trump plus vrai que nature. Le président n’est guère épargné par ce biopic politique qui met en lumière les pratiques douteuses de manipulation dans la plus grande démocratie du monde… Instructif.
A Cannes Première, soit la nouvelle sélection sur les avant-premières, il y avait un metteur en scène bien connu du Sud, Alain Guiraudie (L’Inconnu du Lac qui lui a valu en 2013, un prix de la meilleure réalisation dans la sélection officielle, « Un Certain Regard ». Il nous revient avec MISERICORDE, un film tourné dans son Aveyron natal où le retour d’un jeune boulanger suite au décès de son ancien employeur et maître, va susciter bien des envies de la part de tout le monde, de la veuve au voisin en passant par le curé de la paroisse… Félix Kysyl est une vraie révélation comme le réalisateur sait en faire.
Un autre petit tour à « Un Certain Regard » pour LE ROYAUME, le premier film de Julien Colonna qui a mis 8 mois lors d’un casting sauvage pour trouver enfin ses interprètes comme le chef du clan joué par Saveriu Santucci et sa fille, autre révélation cannoise, Ghjuvanna Benedetti. Pour ceux qui apprécient l’île de Beauté, ils retrouveront les parfums et les attitudes d’un peuple fier où les règles de l’honneur ne peuvent être transgressées… La maîtrise du réalisateur devrait balayer les critiques des plus sceptiques.
Pour finir, David Cronenberg était au programme avec LES LINCEULS qui 2 ans après Les Crimes du Futur, nous renvoie dans les obsessions du maître sur la mort. Ici, des tombes en forme de cubes avec écrans incrustés qui permettent de suivre l’état de décomposition des corps des personnes autrefois aimées. Hormis cette trouvaille qui sera peut-être un jour visionnaire comme pouvait l’être Scanner en 1981 sur des individus aux pouvoirs surnaturels… C’est un déception comme l’était son précédent au vu des autres films phares de la Compétition Officielle tels que MEGALOPOLIS, EMILIA PEREZ, LIMONOV, KIND OF KINDNESS ou encore THE APPRENTICE…
Séances rattrapage ce dimanche 19 mai avec tout d’abord la Sélection Officielle, Un Certain Regard, avec ARMAND. C’est le petit-fils d’Ingmar Bergman et de Liv Ullmann, Halfdan Ullmann Tondel, qui livre son 1er film, ARMAND, où l’influence d’Ingmar est dans tous les plans. Une dispute entre enfants de 6 ans va tourner à l’affaire d’Etat dans une école car il y aurait eu attouchements sexuels d’un enfant sur l’autre… Les gosses ne seront jamais montrés hormis quelques photos mais ce sont les adultes qui focalisent l’intérêt du réalisateur. Il maîtrise parfaitement cette mise en abîme d’une mère actrice veuve qui élève seule son enfant, l’agresseur supposé, Armand, et de l’autre un couple qui semble modèle et qui sont les parents de l’agressé, Jon. L’actrice, Renate Reinsve, qui avait reçu un prix d’interprétation en 2021à Cannes pour Julie(En 12 Chapitres) de Joachim Trier crève encore une fois littéralement l’écran. Comme Snow Therapy de Ruben Ostlund, l’atmosphère devient de plus en plus pesante à mesure que nous apprenons les différends existants entre les deux familles. Dès lors, les menaces se font plus précises d’autant que les responsables administratifs de l’école ont choisi leur camp, celui de la victime. Pour un essai, c’est une réussite !
S’en est suivi un dessin animé pour adultes, SAUVAGES, présenté en Sélection Officielle Séances Spéciales. Ce très beau film de Claude Barras revient les dangers de l’exploitation des plantations d’huile de palme qui saccagent les forêts primaires notamment à Bornéo (mais aussi en Indonésie). Un groupe d’indigènes essaie de faire échec à la disparition de cette biodiversité si essentielle pour la planète. Une œuvre essentielle à montrer dans les écoles.
La déception est venue d’Un Certain Regard avec MY SUNSHINE du Japonais, Hiroshi Okuyama (soutenu dans la salle par le grand réalisateur, Hirokazu Kore-Eda, membre du Jury). Cette histoire de couple de patinage artistique sur fond d’homosexualité de leur entraîneur aurait été, tant le propos est minimaliste, un bon court métrage sans plus. Bien des pistes ne sont pas exploitées où seules les images de patinage sauvent un peu l’ensemble.
Pourtant, c’est encore à Un Certain Regard que la meilleure surprise est venue avec le rattrapage de BLACK DOG du chinois, Guan Hu. Aux portes du désert de Gobi, dans un coin perdu de Chine, un homme sort de prison et revient dans sa ville après avoir commis un homicide. Mais la famille du défunt n’entend pas le laisser tranquille. La cité est cerné par les chiens laissés en liberté par des habitants qui ont déserté les lieux. Ce paria va s’attacher au chien noir (d’où le titre du film) qui est le plus méchant de tous… comme le protagoniste principal de ce drame attachant et parfois même drôle. L’un de nos coups de cœur de la journée !
Et pour finir la journée, le délégué général, Thierry Frémaux a soigné la tendance à l’endormissement des Festivaliers. Pas de film asiatique aux combats toujours spectaculaires (City of Darkness) mais un film d’épouvante sur la quête de l’éternelle jeunesse, THE SUBSTANCE de Coralie Forgeat. Ce traitement permet de « générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite… Il suffit de partager le temps : une semaine pour l’une et une semaine pour l’autre. Un équilibre parfait sur 7 jours ». Oui, mais voilà, si l’une des deux entités, Demi Moore ou Margaret Qualley, rompt ce fragile contrat, les deux ne faisant qu’une, alors c’est tout le processus qui déraille. Surtout quand le patron de la chaîne campé par Dennis Quaid met la pression su la plus jeune, plus belle et plus parfaite… Dans la veine de Titane qui avait valu à Julia Ducournau, une palme d’or. On en est encore loin tout de même…