Son humour ravageur et cynique masquait une grande tendresse pour le genre humain qu’il n’arrêtait pas de dénigrer reprenant à son compte un mot d’Audiard dans Les Tontons Flingueurs : « Les cons, ça ose tout. C’est même à cela qu’on les reconnaît ».
Jaoui/Bacri : Les Jacri…
Lui, l’enfant du Cannet, n’aimait pas la Province. Il disait à volonté : « À Cannes, il y a deux mois pour vivre quand on est jeune et après, le reste du temps, on s’emmerde comme des rats morts ». Car c’est à Paris que Bacri connaîtra la gloire, lui qui avait suivi son ami d’enfance, Jean-Philippe Andraca, qui deviendra son producteur. Pas beau, mais charismatique, Jean-Pierre Bacri va s’imposer par sa gueule et le talent de son écriture. Pièces de théâtre, films… Tout s’enchaîne grâce à une autre rencontre essentielle au théâtre, celle d’Agnès Jaoui qui deviendra sa muse, son double sur le papier, à l’écran comme dans la vie durant 25 ans, de 1987 à 2012, où le couple décide de se séparer sans cesser de continuer à travailler ensemble. Alain Resnais les appelait les « Jacri ». Ils étaient indissociables et la recette du succès les rend fusionnels. Ils écrivent à quatre mains Cuisines et Dépendances (1993), Un Air de Famille (1996), Le Goût des autres (2000), Parlez-moi de la pluie (2008)…et dernièrement, Place Publique (2018).
5 César dont 4, ensemble pour le scénario
À eux deux, ils récolteront 5 César dont 4 ensemble pour le Meilleur scénario : Smoking/No Smoking d’Alain Resnais, Un Air de Famille de Cédric Klapisch, On Connaît la Chanson encore d’Alain Resnais, et Le Goût des Autres d’Agnès Jaoui. Bacri, lui, y ajoutera un César pour le Meilleur Second Rôle Masculin pour On Connaît la Chanson…mais jamais comme Meilleur Acteur alors qu’il a été nominé 6 fois (Kennedy et moi, Le Goût des Autres, Les Sentiments, Cherchez Hortense, La vie très privée de Monsieur Sim et Le Sens de la Fête). Même s’il n’aimait pas qu’on le traite de râleur, il l’était assurément à la ville comme à l’écran. Il parlait cash, sans détour, sans hypocrisie, un vice dont il ne connaissait pas la chanson. Pour lui, le bonheur n’était jamais loin du malheur. Il détestait les optimistes, ceux qui sont toujours heureux. Et donc, même s’il se disait « furieusement de Gauche », il n’était pas du genre Bobo bien pensant. Ces coups de gueule étaient mémorables contre le pouvoir, les serviles, les cons, la morale, le conformisme, le sectarisme…
Des répliques cultes comme ses films
En écrivant ces quelques lignes, je me rends compte combien il va manquer au cinéma français. Il avait débuté au cinéma dans Le Toubib de Pierre Granier-Deferre aux côtés d’un certain Alain Delon, dont enfant, il avait le poster accroché dans sa chambre…du Cannet. La postérité, il la connaîtra avec son rôle de proxénète dans Le Grand Pardon avec cette expression devenue cultissime : « Carnaval c’te gonzesse ! ». Pourrait-il encore dire ça aujourd’hui ? Nul doute que cela l’aurait énervé, ces temps de censure de tout et de rien. Et puis Subway de Luc Besson pour un flic désabusé qui lui vaudra une nomination aux César comme Meilleur Second Rôle… Se souvient-on qu’il a participé au script d’Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre et que c’est lui qui en a assuré la narration en 2002 ? Alain Chabat dont il fera Santa & Cie mais aussi et surtout Didier avec encore une phrase culte : « On ne sent pas le cul des gens qu’on ne connaît pas ! ». Qu’il soit Max, organisateur de mariage dans Le Sens de la Fête de Nakache & Toledano ou un responsable de pompes funèbres dans Grand Froid, il était celui que l’on aimait, à râler tout le temps contre tout et les autres, ironique toujours, tendre souvent, incisif parfois. Il disait : « Ma gueule fait la gueule, c’est ainsi ». Quoi ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? « Fais chier », aurait-il répondu. À nous de lui faire la même réplique…
Pascal Gaymard