En novembre 2013, j’étais allé le chercher à son domicile cannois pour que nous fassions un débat ensemble au cinéma Mercury de Nice autour du film documentaire de Gilles Perret, « Les Jours Heureux ». Qui mieux que lui pouvait évoquer cette période si particulière entre mai 1943 et mars 1944 où 16 hommes de tous bords politiques, syndicats ou mouvements de résistance, s’étaient réunis au mépris du danger pour bâtir le programme du Conseil National de la Résistance intitulé « Les Jours Heureux ». Cette liste de propositions a servi de cadre à la mise en place du système social français de l’après-guerre avec la sécurité sociale, aux retraites par répartition, aux comités d’entreprises… Le débat avec ce grand Monsieur avait été truffé d’anecdotes et d’histoires sur sa collaboration avec Jean Moulin, son maître, son mentor, son ami.
Il rejoint De Gaulle en 1940 à Londres
Daniel Cordier était un homme discret, humble et précis, lui qui était un historien reconnu et respecté de tous. C’est Jean Moulin qui l’avait initié à la connaissance de l’Art, puisqu’il lui donnait rendez-vous souvent dans des galeries d’Art à Lyon ou Paris. Dès l’été 40, il avait rejoint De Gaulle à Londres et le premier contact ne s’était pas très bien passé, le Général affirmant d’emblée qu’il ne les félicitait pas car ils n’avaient que fait leur devoir en le rejoignant à Londres… Compagnon de la Libération, marchand d’Art respecté, Daniel Cordier a toujours été un adolescent puis un homme engagé. Des Camelots du roi de l’Action française de Charles Maurras, il passera au Gaullisme, refusant l’armistice demandé par le Maréchal Pétain qui le scandalise.
Il sera le Secrétaire de Jean Moulin Durant 10 mois
Daniel Cordier intègre alors le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA). Dès son parachutage en juillet 1942, il rejoint un certain « Rex » à Lyon qui n’est autre que Jean Moulin dont il apprécie immédiatement la simplicité et la bienveillance. Il a 21 ans. Durant 10 mois, ils travailleront à unifier les mouvements de résistance. Il sera « Alain » comme nom de code. Son drame, il le vit en juin 1943 lorsque Jean Moulin est arrêté, torturé et exécuté. Il ne s’en remettra jamais. Pourtant, il poursuit sa mission de secrétaire de la Délégation générale de la France en zone nord. En mars 1944, il apprend que les Allemands ont sa photo et qu’il est activement recherché. Il demande à être relevé de ses fonctions et fuit en Espagne où il est arrêté puis emprisonné dans des camps par les franquistes. Il ne rejoindra Londres qu’à la mi-mai 1944 et s’occupera des parachutages. Il ne rejoindra la France qu’en octobre 1944 où il intègre la Direction générale des études et recherches (DGER), dont Jacques Soustelle prend la tête en novembre 1944. Il démissionnera de toutes ses fonctions quand le Général se retire en janvier 1946.
Il devient un spécialiste de l’Art Moderne reconnu
Dès lors, sa vie sera liée à l’Art moderne que Jean Moulin lui avait permis de comprendre, Cézanne, Renoir, Kandinsky… Il deviendra un proche de Nicolas de Staël, Jean Dubuffet, André Breton… Pourtant, il n’ouvrira sa galerie qu’en 1956 à Paris, son rêve. Il la fermera en 1964 estimant que « tout se joue ailleurs qu’à Paris » et se consacrera désormais à l’organisation de grandes expositions. Tout en continuant ses activités de collectionneur. Les attaques dans les années 70 de Frenay contre son patron, Jean Moulin, le décident à prendre la plume et à raconter « sa » vérité. Il effectuera un travail de fourmi croisant toutes les informations et des méfiants de témoignages de mémoire orale.
Il sera l’Historien de Jean Moulin et de la Résistance
De 1983 à 1999, il n’aura de cesse en plusieurs volumes (« L’Inconnu du Panthéon »et « La République des catacombes »), de défendre l’honneur de Jean Moulin. Son travail en solitaire sera reconnu de tous les historiens jusqu’à ses propres souvenirs qu’il compile dans « Alias Caracalla » édités en 2009. Il sera nominé au Prix Goncourt. Daniel Cordier était un homme attachant, profondément cultivé, un témoin du XXème siècle et ses horreurs. Un Grand qui a assurément sa place au Panthéon.
Pascal Gaymard