Jean Raspail était un touche-à-tout génial, un homme aux multiples vies : écrivain, journaliste, poète, explorateur, aventurier…
« Le Camp des Saints », son chef-d’œuvre
Il aimait la vie, et il n’a jamais hésité à mettre ses idées en accord avec ses actes, dans la vie réelle comme dans ses écrits. Deux livres resteront à jamais au Panthéon de la littérature, « Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie » et son fameux « Le Camp des Saints » si prémonitoire. Il avait avant tout le monde compris la lâcheté des élites face à une immigration agressive et forcée. Il était l’un des descendants de François-Vincent Raspail, à l’origine du rétablissement du suffrage universel en 1848. Sa soif de la liberté, de ton comme d’existence, l’a conduit tout autour du monde dès 1949. Il a 24 ans et ne cessera plus de voyager (durant 30 ans), ce qui lui donnera l’inspiration de ses romans dont le premier sera publié en 1958. Sa célébrité, il la doit en 1973, à un roman mythique, « Le Camp des Saints » qui ne cesse d’être réédité. Il décrit l’effroi de l’arrivée massive sur les côtes du Sud de la France de plus d’un million de clandestins sur une centaine de navires de fortune. S’ensuivent tous les travers du pouvoir, incapable de prendre des décisions radicales pour éviter le drame du débarquement et des exactions qui suivront. Il disait au sujet de ce livre : « C’est un livre surprenant. Il a été long à écrire, mais il est venu tout seul. J’arrêtais le soir, je reprenais le lendemain matin sans savoir où j’allais. Il y a une inspiration dans ce livre qui est étrangère à moi-même. Je ne dis pas qu’elle est divine, mais étrange » (Le Point en 2015).
Autoproclamé Consul de Patagonie…
Jean Raspail aimait les beaux coins du monde qu’il a arpenté durant plus de 30 ans. Nous l’avions rencontré lors d’une séance de Connaissance du Monde au cinéma Le Studio de Grasse sur Venise… Avec lui, la Cité des Doges prenait un autre visage, une autre dimension, une autre fascination… Il était majestueux, grand, érudit, impressionnant de force et de convictions. Un seigneur de la littérature, du phrasé, de la connaissance qui ne passe que par l’expérience. Avec lui, point d’esbroufe, juste la bonne question, claire et simple, pour avoir la bonne réponse. C’est cette image que j’aimerais conserver de lui, un homme toujours debout qui m’avait confirmé que le metteur en scène britannique, John Boorman, avait essayé de monter un film autour du « Camp des Saints » sans y parvenir… Par bravade, il s’était autoproclamé Consul général de Patagonie ; cela avait donné un film culte signé John Huston avec Sean Connery et Michael Caine, « L’Homme qui voulut être Roi » (1976). Il s’était pris de passion pour la terre de Feu du bout du monde d’un continent…
Royaliste, catho tradi, ultraréactionnaire…
Il se défendait d’être d’extrême droite, il préférait affirmer qu’il était royaliste, un homme libre qui ne voulait être inféodé à aucun parti. En même temps, il se disait « ultraréactionnaire », « attaché à l’identité et au terroir » et farouchement opposé au « métissage ». En 1981, il avait obtenu le Grand prix du roman de l’Académie française pour « Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie », puis en 1987, le prix du Livre Inter pour « Qui se souvient des hommes ». On lui doit aussi des récits de voyage comme « Terre de Feu-Alaska » (1952), « Le jeu du roi » (1976) ou « Pêcheurs de lunes » (1990). En 2019, à 94 ans, il avait publié deux romans : « Les Pikkendorff » (Albin Michel) et « La Miséricorde » (Les Équateurs), un petit roman inspiré du terrible crime du curé d’Uruffe, dans les années 1950. Un jeune prêtre avait assassiné sa maîtresse, enceinte, puis l’enfant qu’elle portait, non sans l’avoir préalablement baptisé… En tant que catholique traditionnel, Jean Raspail s’était interrogé : ce prêtre mérite-t-il le salut ? Il est « mort paisiblement entouré des siens » à l’hôpital Henry-Dunant à Paris, a indiqué son fils Quentin à l’AFP. Il était hospitalisé depuis la fin décembre… Alors, bon voyage, Monsieur Raspail, puisse le Bon Dieu t’accueillir avec ces mots : « Entre ici, Bon et Loyal Serviteur ».
Pascal Gaymard