HOMMAGE- Bertrand Tavernier : Un peu de la mémoire du cinéma s’en est allée…

L’un des plus grands cinéphiles du cinéma a choisi de tirer sa révérence, Bertrand Tavernier n’est plus. L’Horloger de Saint Paul a vécu La Mort en direct, Autour de Minuit du côté de Saint Maxime dans le Var où il avait choisi de se réfugier pour vivre sa Vie et rien d’autre.

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Âgé de 79 ans, il souffrait depuis des années d’une pancréatite qui l’avait tenu éloigné du Festival de Cannes qu’il aimait tant. Nul doute que la fermeture des salles de cinéma depuis des mois lui a donné le coup de grâce.

Ses parrains ? Melville et Sautet

Ce Lyonnais d’origine est très vite monté à Paris. Sa mère le voyait faire son droit. Mais l’enfant est fragile des bronches et doit passer de longs mois dans les sanatoriums pour se refaire une santé. C’est là, dans cette solitude, qu’il rencontre le cinéma. Ce sera la passion de sa vie. Il veut tout voir, tout comprendre, tout vivre. De retour à Paris, deux de ses parrains, Jean-Pierre Melville et Claude Sautet arrivent à convaincre sa mère de lui laisser tracer sa route dans le 7ème Art. Il sera critique à Positif, préférant toujours dire du bien des films alors qu’en privé, il pouvait s’avérer féroce. Assistant-réalisateur, attaché de presse aussi avant de faire le grand saut en tant que réalisateur en 1974 avec L’Horloger de Saint Paul qui d’emblée l’impose avec un Grand Prix au Festival de Berlin de la même année. Un an plus tard, Que la Fête commence, le consacre aux César avec un Prix du Meilleur Réalisateur et du Meilleur Scénario. Et son succès ne se dément pas avec Le Juge et l’Assassin qui lui vaut un César du Meilleur Scénario original ou d’adaptation. Il révèle Michel Galabru face à Philippe Noiret qui devient le premier acteur fétiche du réalisateur.

Berlin, Londres, Cannes… et deux fétiches : Noiret et Torreton

Les années passent et en 1981, il réalise sans doute son chef-d’œuvre avec Coup de Torchon. Philippe Noiret et Eddy Mitchell y brillent tout comme Stéphane Audran, Isabelle Huppert et Jean-Pierre Marielle. Quelques années plus tard, en 1984, au Festival de Cannes, il décrochera un Prix du Meilleur Réalisateur pour Un dimanche à la Campagne. Deux ans après, il s’initie au film musical avec Autour de Minuit et c’est une réussite totale. Il accumule les prix : César du Meilleur Son et de la Meilleure musique originale signée Herbie Hancock. Cela lui vaudra aussi un Oscar de la Meilleure musique en 1987. Avec La vie et rien d’autre en 1989, il sera Meilleur Film étranger aux BAFTA à Londres, les César anglais. En 1992, il signe L627 qui dénonce le peu de moyens des policiers qui luttent contre les trafiquants de drogue. Avec L’Appât en 1995, il s’intéresse à un fait divers sordide qui révèle Marie Gillain au grand public. C’est la consécration avec un Ours d’Or au Festival de Berlin. Un an plus tard, Capitaine Conan avec son autre double fétiche, Philippe Torreton, lui procure un second César du Meilleur Réalisateur.

Lion d’Or à la Mostra de Venise en 2015

Pour ce fan de cinéma, boulimique à l’extrême, L’Amérique est un eldorado. Son ouvrage, Amis Américains, est publié en 2008. C’est une déclaration d’amour de plus de 1000 pages sur les plus grands metteurs en scène US, de Robert Altman à John Huston. Son rêve à lui Hollywood, il le réalise en tournant enfin Outre-Atlantique, Dans la Brume électrique, adapté du roman de James Lee Burke avec Tommy Lee Jones. Ce sera sa plus grande déception. L’acteur se conduit comme un goujat avec lui, le méprisant ouvertement. La Princesse de Montpensier (2010) et Quai d’Orsay (2013) seront ces deux derniers films, juste avant son grand œuvre, un documentaire sur son Voyage dans le cinéma français (2016) comme un cadeau d’adieu, un hommage à tant de bonheur. Son éclectisme est rare, la qualité de ses films extraordinaire, sa curiosité immense. En 2015, à la Mostra de Venise, il avait reçu un Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière. Juste récompense.

Son amitié avec Thierry Frémaux et l’Institut Lumière à Lyon

Mais son jardin à lui, c’était Cannes et son Festival. Il partageait ce plaisir avec son fils adoptif, Thierry Frémaux, le délégué général depuis 2007, qu’il avait imposé aussi à l’Institut Lumière en 1995 qu’il présidait depuis 1982, date de sa création. L’ambition de l’Institut est de défendre le patrimoine du cinéma dans son ensemble, comme Cannes Classics peut le faire au Festival. Dernièrement, il avait fait venir Francis Ford Coppola à Lyon, sans doute, le meilleur de ces Amis Américains. Il était un homme engagé à gauche, un combattant, un résistant, tempérament qu’il avait hérité de son père René qui avait créé la revue Confluences. Un jour à Nice, à la sortie du Pathé Masséna, il était là, sur le trottoir, parlant avec nous. J’avais osé lui dire que Maverick avec Mel Gibson, James Garner et Jodie Foster, était un bon film. Il s’était emporté et notre affrontement avait duré 20 bonnes minutes. Il était passionné, sanguin, obstiné parfois. C’était Bertrand Tavernier, l’un des grands du cinéma français, comparable à un Henri Verneuil, un homme de chefs-d’œuvre multiple et varié. Un voyageur d’éternité en images…

Pascal Gaymard

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