Accueil À la Une DROIT – Les cours criminelles départementales : débat devant le Conseil constitutionnel

DROIT – Les cours criminelles départementales : débat devant le Conseil constitutionnel

Ces juridictions d’un nouveau genre – de par l’absence de jury populaire – se différencient des cours d’assises, qu’elles visent à désengorger. Pour leurs détracteurs, elles contreviennent à de nombreux principes de droit. La Cour de cassation se penche sur le sujet, mercredi. Explications.

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La création de cours criminelles départementales, chargées de juger (hors récidive) les crimes punis de 20 ans de réclusion maximum (viol, vol à main armée…), était l’une des mesures phares de la loi de programmation et de réforme de la justice du 23 mars 2019. Ces nouvelles juridictions sont composées d’un président et de quatre assesseurs, tous professionnels, deux d’entre eux pouvant être, en outre, magistrats honoraires ou exercer leurs fonctions à titre temporaire. Exit, donc, le jury populaire et ses six jurés citoyens tirés au sort sur les listes électorales !

Une juridiction spéciale qui désengorge les Assises

Depuis le 1er janvier 2023, les cours criminelles départementales remplacent les cours d’assises pour juger les crimes punis de quinze ou vingt ans de prison, soit essentiellement des viols, après une phase d’expérimentation de trois ans dans quinze départements. Pour ses détracteurs, cette nouveauté, qui vise notamment à désengorger les assises, réaliser des économies, éviter la correctionnalisation des viols et surtout à rendre des décisions plus rapidement, contrevient à de nombreux principes de droit dont l’obligation d’oralité des débats en matière criminelle. Mais l’intervention du  jury pour juger les crimes est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Par conséquent, selon ses détracteurs, l’existence même de ces cours criminelles départementales est, de fait, contraire à la constitution. Le Conseil constitutionnel a donc trois mois pour se prononcer. S’il juge que les cours criminelles départementales sont inconstitutionnelles, il peut immédiatement abroger la loi. « Mais il peut aussi les laisser survivre un an afin de laisser le temps au législateur de revoir sa copie« , précise Benjamin Fiorini, maître de conférence en droit, engagé contre les CCD.

Deux questions prioritaires de constitutionnalité soulevées

Le jugement des crimes par une cour criminelle départementale, juridiction dans laquelle il n’y a pas d’intervention de jurés, fait l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 20 septembre 2023, a transmis ces QPC au Conseil constitutionnel. Deux arguments y sont avancés : tout d’abord, la violation d’un principe constitutionnel selon lequel le jugement des affaires criminelles devrait faire intervenir des jurés et enfin, la différence de traitement entre les accusés, selon qu’ils sont jugés ou non par des jurés. En effet, les règles concernant la détermination de la majorité nécessaire pour prononcer un verdict de culpabilité ou la peine maximale encourue sont différentes selon que les accusés sont jugés par une juridiction comprenant ou non des jurés. Devant une cour d’assises (composée de trois magistrats et six jurés), sept personnes sur neuf doivent avoir déclaré coupable l’accusé pour qu’il soit condamné. Mais devant une cour criminelle, pour être déclaré coupable, seuls trois magistrats sur cinq doivent s’être prononcés dans ce sens. « On est donc plus facilement coupable devant des juges professionnels que devant des jurés citoyens. Cela remet en cause le principe d’égalité des citoyens devant la justice qui est un principe constitutionnel « , soulève Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit privé et en sciences criminelles à l’université de Paris 8. Le Conseil n’avait jusqu’alors jamais eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de ces principes. L’affaire est sérieuse et reste à suivre d’ici la fin de cette année.

Véronique La Rosa

Sources : Cass. crim., 20 sept. 2023, n° 23-84.320 et n° 23-90.010.

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